Hier,
En rédigeant ma conclusion m'est venue clairement l'idée que la réforme et l'informatisation ne sont pas liées nécessairement. Comme je l'ai observé, de nombreux profs se servent des outils de l'informatique pour partager du matériel de base, des tests, des exercices supplémentaires. On n'est pas du tout que dans le partage de projet ou d'idées de projet.
Les promoteurs de la réforme la justifient sans cesse comme étant la seule approche moderne. Selon eux, nous n'avons pas le choix avec l'explosion de l'information et les nouvelles technologies.
S'il est clair qu'il faudra faire quelques ajustements, il faudrait justifier cette idée répandue par la propagande réformiste que la pédagogie socio-constructiviste est la seule à pouvoir intégrer les TIC. Pour moi, il devient clair que cette orientation n'est absolument pas nécessaire et qu'une pédagogie plus traditionnelle peut se prolonger aussi dans la technologie. Je parle surtout pour les maths et le français qui ont des outils de base qui demandent des années d'entrainement pour se développer et qui participe selon moi au développement de l'appareil intellectuel qui a permis la civilisation.
Or, l'ordinateur peut offrir des outils d'entraînement efficace s'ils sont pensés en ce sens. L'ordinateur est un moyen pas une fin.
Nous sommes encore au balbutiement de la culture informatique. Nos sociétés sont pour l'instant hypnotisées par ce médium. Nous sommes sans recul. Et voilà qui a entraîné pas mal de dérives. Quand on y pense, cette pédagogie et ces programmes ont été conçu alors qu'Internet ne faisait que voir le jour pour une majorité de la population.
On nous fait avaler que le savoir-écrire se développe aussi bien dans un Powerpoint, dans un logiciel pour faire des bandes dessinées avec photo, ou des pamplets publicitaires avec Publisher. C'est de la frime. Toute l'énergie qu'on doit mettre en marge de la rédaction n'est pas accessoire. Pendant ce temps, le cours de français est de moins en moins un cours d'entrainements aux exercices qui développent la maîtrise des mots, de la grammaire, de l'orthographe, de la syntaxe, des connaissances à mémoriser pour devenir un scripteur efficace. Tout le monde sait qu'un correcteur dans un traitement de texte sans une connaissance intégrée de la grammaire ne fait que faire prendre des décisions erronées devant les questions que les logiciels de correction nous posent? Mais on continue de nous faire croire que l'apprentissage d'une certaine maîtrise de la langue est une perte de temps.
On va même jusqu'à vouloir simplifier le français trop compliqué pour un apprentissage rapide et économique qui nous permettrait de faire autre chose...
Or, c'est tout à fait discutable comme je le développe dans mon autre texte aujourd'hui. Je pourrais faire le même exercice avec les mathématiques. Ne voir que le côté utilitaire des maths, et même que la beauté des mathématiques, c'est oublier le formidable outil de développement des facultés de l'intelligence que permet l'apprentissage systématique des mathématiques et de ses méthodes de travail.
Bref, il ne faut pas évacuer l'importance de ces nécessaires gammes du développement de l'intelligence dans une révolution informatique.
Et toute ma critique du renouveau en fait se fonde sur cette observation que l'apprentissage systématique de la langue et des mathématiques est encore ce que la civilisation occidentale a trouvé de mieux pour développer l'intelligence, la discipline et la rigueur de pensée qui ont permis le développement de la civilisation moderne, de la démocratie et la société des droits de l'homme.
En dénaturant cette longue tradition formatrice, en rendant ces apprentissages de vulgaires disciplines subordonnées à des tâches plus importantes comme la résolution de problème ou l'expression de la communication, dans une vision bêtement utilitariste, on a perdu l'essence de la formation de base.
L'informatique permet certes de faire beaucoup de choses qui ont l'apparence de l'intelligence. Mais l'intelligence met bien davantage de temps à se former. Plonger les enfants dans l'univers infini du virtuel sans leur avoir permis de développer les outils pour apprendre à distinguer des éléments dans un ensemble, sans leur avoir fait développer la capacité de voir des structures, des patterns, des principes sous-jacents, c'est les plonger sans filets, sans filtres, sans outils dans un monde où tout devient égal, même le faux, même l'irréalité...
Si on veut bêtement faire développer le sens critique des jeunes en essayant de leur faire comprendre que les seules sources crédibles d'informations sont les institutions reconnues par l'autorité, on sombre dans la propagande et le contrôle de la pensée. L'obligation d'une démocratie est de faire développer la capacité de pensée par soi-même, ce qui suppose un appareil intellectuel bien stimulé, entraîné non à faire des choses qui le dépassent, mais construit progressivement dans des disciplines structurées dans un contexte dépouillé du bruit, de l'utilitarisme, de la densité du monde.
Ce n'est que par la suite que cette formation permettra de reconnaître, voir, comparer, extraire, organiser la complexité du monde et de réfléchir l'expérience de vivre pour évoluer.
L'informatique ne doit pas éluder ce programme de base indispensable. La réforme doit être remise en question, la nouvelle grammaire aussi qui s'avère insatisfaisante pour stimuler le développement de l'intelligence et n'arrive pas à développer la maîtrise de la langue de manière probante. Enfin, la contextualisation forcée et systématique depuis 1994 en math est aussi à questionner. Enfin, depuis 1981, mais l'effet de ce programme a mis plus de temps à faire des dégâts, le programme de français tourné vers la communication à outrance aurait aussi à être revu dans le même état d'esprit.
Quand je parle de revisiter la tradition scolaire, c'est de tout cela dont je veux parler: de ma préoccupation que l'école demeure un endroit où tous avons la chance et le droit de développer notre intelligence de manière consistante. Tous ces artifices de la modernité ont malheureusement dilapidé l'héritage des humanités. La révolution technologique ne doit pas nous égarer devant les taches critiques que nous devons mener en ce moment pour redresser la dérive renouvelée. C'est ce qu'on tente de faire en ce moment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire